Un Président des croyants, ou des citoyens ?
Notre Président semble se moquer d’un texte fondamental. Le seul qui tienne une nation dans la paix : la Constitution.
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. »
Constitution de la Ve République, art. 1. 1958.
Est-il possible qu’un président, un ministre et leurs courtisans sortent de la voie de la raison ? En France, oui. Michèle Alliot-Marie ne s’en est pas privée : « nous souhaitons reconnaître le rôle de la spiritualité, (…) contre la laïcité négative, une attitude sectaire ». "Nous". Pas « je ».
Art. 1
" La République ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte "
Art. 2
Quel scandale, en effet...
Notre chef d’Etat et chanoine honoraire de Saint-Jean de Latran, fait de ses opinions personnelles un dogme. Et ce dogme devient loi, par magie du verbe sans doute. En effet, ses ministres Darcos & Kouchner entendent sa voix (non, pas des voix...). Je ne critique pas un discours, mais ses conséquences pratiques : les réformes scolaires, le retour des religieux et l'accord du 18 décembre avec le Vatican.
« Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ». Dixit notre vénéré Pdt
« La morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme », qu'il dit...
« L’espérance d’avoir après la mort, une perspective d’accomplissement dans l’éternité », qu'il a écrit...
Raconte-t-il seulement n’importe quoi ? Confond-il ce qu’il croit avec la vérité ? Sa vie privée avec son métier bien payé de Président ? Sa croyance a-t-elle fait de lui un être dévoué à sa patrie ? Chacun sera juge. Il impose sa croyance à tout le monde. Tant pis pour la Constitution. Tant pis pour la loi. Cela fait couler de l'encre et cela suffit à son bonheur. Les instits et croyants déportés ou résistants doivent-ils faire un cours d'histoire sur l'attitude de l'Eglise ?
Rectifions notre chef d’Etat. Le fanatisme ce n’est pas la laïcité ; la collaboration ce n’est les athées ; l’accomplissement de soi, ce n’est après la mort ; l’épanouissement ce n’est pas le dogme religieux. Sont-ils incapables de lire La Princesse de Clèves et de respecter ce 1er article constitutionnel à l'UMP ? On en demande plus aux enfants.
La loi de séparation des Eglises et de l’Etat (9 décembre 1905) prolonge la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789). Elles brisaient le monopole des catholiques en matière de pensée. Grâce à M. le Président et garant de la laïcité, la spiritualité devient croyance, sa croyance se prétend vérité, une vérité arrogante et dogmatique.
Dogmatique, oui, car l’intérêt de la nation disparaît devant son besoin de parler. Son « espérance » devient catastrophique dès lors qu’il nous inflige de fausses évidences. Si ça, ce n’est pas la voie du fanatisme, alors nul n’est fanatique.
La laïcité protège des abus religieux.
Les religions se contredisent sans cesse entre elles et en elles. Sur la virginité de la Vierge, sur la nature divine ou bien humaine du Christ, sur le statut du Prophète, sur la façon dont on doit prier, sur le sexe des anges, sur la place de Dieu dans la Création, sur la consommation du porc et du vin, sur " la Pâque " ou " les Pâques", sur la date et le nombre de jour de jeûne (Ramadan, Kippour, Carême : que choisir ?), sur la date de création du monde, etc. La liste est interminable. Des centaines d'années de massacres religieux sur ces questions ridicules. Nous n'avons pas à entrer en débat avec eux : qu'ils se mettent d'accord, on verra après.
Alors, laissons les religieux reprendre leur débat millénaire. Car le seul moment où ils tombent d'accord dans leurs désaccords infinis, c'est pour critiquer la science. Et pourtant, aucune religion n'a inventé de nouveau moyen pour sauver des vies. Peu leur importe. Pareils dictateurs expliquent à tous quand et comment ils doivent boire et manger, faire l'amour et avec qui, traiter leurs semblables en pairs ou en esclaves. Puis, on ne sait trop pourquoi, décident que la science est mère de toutes les catastrophes. Pareil crime demanderait que la science puisse avoir un avocat. Non : trop risqué ! Sous nos yeux ébahis se produit un miracle : les dogmatiques deviennent relativistes face à la science, aussi vite que l'eau se transforme en vin. Quelle ivresse. Quel vertige.
Il est heureux que des croyants s'élèvent fréquemment contre leurs guides prétendument spirituels. Ratzinger n'a pas le monopole des critiques contre la raison, le préservatif, l'avortement. Peut-on faire confiance à l'homme qui ne touche pas aux femmes, lorsqu'il explique comment il faut s'y prendre ? Doit-on lui accorder raison de critiquer la raison ? Préservons-nous, croyants et incroyants, de pareils délires. De même, les Etats qui pendent les homosexuels, lapident et défigurent les femmes ou massacrent les minorités religieuses, interdisent les autres religions (!) veulent expliquer aux autres ce que sont les droits de l'homme. Une Blague ? Non : Cuba et Chine soutiennent cette initiative de l'Algérie, de l'Egypte, du Soudan et du Pakistan (Durban 1 & 2). Pas plus tard qu'hier, le viol marital devint légal en Afghanistan. Les religieux veulent dominer, les croyants préfèreraient qu'on leur foute la paix. Messieurs les théologiens, reprenez donc vos disputes entre vous. Vivement une papesse, une rabbine, une ayatollahe... qui sait ?
Dès lors, ces idéologues s'en prennent à la laïcité. Il n'y a pas de " laïcité négative " ou " sectaire ", mais la liberté de croyance et d'incroyance. La laïcité, c'est la paix, la liberté. Soyons ironiques : elle maintient la libre concurrence entre religions, là où chacune veut un monopole. Des chefs d'Etat (le pape Benoit XVI en est un) qui réclamerent des faveurs pour une croyance au nom d'une laïcité " positive " ou de la " tolérance ", ne prêchent que pour leurs chapelles. L'opération de marketing sur le marché religieux consiste à se mettre en tête de gondole. D'un côté, ces idéologues demandent un traitement de faveur, mais de l'autre, ils condamnent toute critique : " diffamation ", " islamophobie ", " blasphème ", " apostasie", etc. A ce jeu, les dés sont pipés. Je n'ai pas envie de voir ce que serait où tout le monde serait obligé d'être monothéiste sans pouvoir changer d'avis. Et vous ?
Une Europe chrétienne : de quelle Europe parlez-vous ?
De quel christianisme s’agit-il : celui des catholiques romains fondés sur la tradition épiscopale ? Celui qui s’en est séparé par un schisme en 1054, l’Orthodoxie ? Des christianismes réformés anglais, allemands et français ? Du jansénisme ? De l’arianisme ? de l’Eglise jacobite ou de celle des maronites ? Si l’héritage européen c’est « LE » christianisme, il est bien récent. La Constantinople orthodoxe fut pillée par des croisés catholiques. Huit guerres avec les protestants ont ravagé la France du XVIe s. « hors de l’Eglise (de Rome), point de Salut » disait-on il n’y a pas si longtemps.
Ce christianisme soft, « œcuménique » est si récent que l’on peine à y voir un héritage. C'est une lecture de l'histoire a posteriori.
L’Europe c’est d’abord la modernité, la démocratie, les droits de l’homme. Elle s’inspirent de plusieurs héritages : Rome et Athènes, en les modifiant. Parler des « racines chrétiennes de l’Europe », c’est oublier une histoire faite de dissensions entre chrétiens qui ne se reconnaissaient pas comme tels. Des chrétiens qui se traitaient d' « hérétiques ». A vrai dire, chaque prince imposait son christianisme à ses sujets, avant de s’en prendre aux autres : Saint Louis et les Cathares, Louis XVI et la " religion prétendument réformée ". Cette vision d'un passé chrétien commun n’est possible qu’en réduisant le christianisme à son plus petit dénominateur commun.
Plus fort, Marcel Gauchet décrit le christianisme comme « la religion de la sortie de la religion ». Les européens sortent des institutions religieuses, cumulent et interprètent les croyances comme bon leur semble. Qui croit encore à l’infaillibilité du pape ? Vous ? Et qu’est-ce qui permet pareille modernité ? La laïcité, qui nous protège des crimes de blasphème, d'hérésie et d’apostasie. Rien n’est plus moderne que cette idée. La voila, cette spiritualité européenne : celle qui refuse les dogmes chrétiens et s’interroge sur ses valeurs. A part pour des raisons électoralistes, il n'y avait aucune raison de vouloir des " racines chrétiennes de l'Europe " dans le Traité pour une Constitution européenne. Sauf un prétexte pour embêter les Turcs. C'est malin de les pousser vers la droite religieuse, tiens...
Mais quand même, il y a bien le " fait religieux ", non ?
Ah, si vous prétendez que c'est un fait : donnez moi la date et le lieu. Sinon, prouvez moi que c'est un " fait ". L'argument est facile : on pose une fausse évidence pour éviter de démontrer quoi que ce soit. Comme on ne peut démontrer l'universalité de la croyance en une transcendance, celle de la foi, celle de dieux, etc. ; on fait comme si tout était évident. Et hop.
Et pourtant, les monothéismes déjà si hostiles entre eux nièrent longtemps que d'autres puissent avoir une religion. Ils se mirent en tête de convertir le reste de la planète, peuplée de " païens ", d' " idolâtres " et d'autres " adorateurs ". C'était hier, me direz vous. Vrai. Après avoir nié l'universalité religieuse, d'habiles idéologues prétendent maintenant le contraire pour revenir sur le devant de la sCène.
Mais alors quel point commun entre les petits dieux locaux des Grecs, le samsara, les animismes, les totémismes, les récits magiques ou mythologiques, le Tao, les astrologies, les cultes civiques, la mystique, les ésotérismes ? Rien qui ne se réduise à la transcendance. Rien qui ne ressemble à la foi, au paradis ou au Salut. Finalement, point d'universel derrière le " fait religieux ", à part une mauvaise foi ethnocentrique (sans jeu de mots).
On peut faire comme si toute croyance était religieuse, au sens où les chrétiens entendent ce mot. On peut. Mais à tort. Mircea Eliade prétendit le faire en récupérant des mythes de ci - de là, au prix d'un travail anti scientifique (cf. Daniel Dubuisson). Jean Clottes lui aussi a voulu trouver des racines religieuses " chamaniques " dès l'apparition de l'humanité, avec le discrédit qui a suivi. Alors sur quel savoir positif peut-on fonder pareil " fait " universel ?
Bon, d'accord Pascal Boyer a bien montré que les dieux dérogaient à la fatalité de la vie humaine : immortels, puissants, omniprésents, etc. Mais ils ne dérogent à chaque fois que par quelques aspects. Pourtant, cela n'expliquera jamais le refus des dieux dans l'animisme, ni le Temps du Rêve aborigène, ni le culte africain des ancêtres. On ne saurait dire que ce sont des religions sans dieux, sans transcendance, sans foi, sans Au-delà, tout en les mettant dans les religions. Quand bien même ce sont des croyances : demandez-leur s'ils croient de la même façon que vous croyez.
L'anthropologue Radcliff-Brown rapporte qu'un Australien regardant un Chnoisdéposer du riz la tombe de son frère lui demanda si le défunt viendrait le manger. Le Chinois lui répondit : " d'après votre question, je suppose que vous mettez des fleurs sur les tombes parce que les morts aiment les regarder et sentir leur parfum ". A méditer.
Il ne reste donc qu'une définition minimale. Des faits religieux, distints entre eux et qui ne se ressemblent plus par des malentendus, que par de vraies ressemblances. Scientifiquement infondé, il ne reste du fait religieux que des faits liés à des religions ou à des croyances.
Le pire étant que ce prétendu " fait " est d'autant plus incompéhensible, que tous les religieux craignent la liberté d'incroyance ou d'athéisme plus que tout. Si la liberté mène à la sortie de l'institution religieuse ou à l'incroyance, en quoi l'homme serat-il religieux par nature ? Lecteur, comme on dit : " zyva lach T com " !
L'enseignement du " fait religieux ", un cheval de Troie ?
Il est vrai que l'inculture religieuse frappe à la fois les élèves du privé comme ceux du public, ainsi que leurs parents. Il est donc vrai qu'une grande partie de leur propre culture leur échappe. Acceptons également que cette inculture ouvre la porte aux plus incompétents des prédicateurs, aux politiciens les plus malhonnêtes. Et ce la ne concerne pas seulement les chrétiens ou les musulmans, mais s'étend aux agnostiques. Laisser le champ libre aux pires dérives religieuses reviendrait à voter pour leurs extrêmes droites. L'enseignement historique des cultures religieuses devient alors un besoin civique. Ne serai-ce que pour connaître la culture des autres. Alors, le Mod-ump a-t-il raison de faire entrer le " fait religieux" au collège ?
Si tous les ministres lisaient les manuels, ils sauraient que le judaïsme, l'orthodoxie, l'islam, le catholicisme et la réforme protestante sont abordés en 6e & 5e. Les mythologies antiques, comme la Bible et le Coran sont déjà dans les manuels scolaires de français et d'histoire (en doubles pages). L'enseignement public présente déjà les faits historiques, les rites et les croyances religieuses de ces monothéismes. Cela se fait de façon très respectueuse, au risque de confondre l'histoire et la religion :
- les polythéismes greco-romains, indien et égyptiens sont des religions " bizarres" où les dieux se conduisent comme des " hommes normaux ", le vice en plus (Zeus l'adultère, Seth le meurtrier de son frère, Vulcain le violeur, etc.).
- les autres croyances sont péniblement esquivées : l'animisme serait une " croyance dans les esprits ". Les cultes des ancêtres et les totems disparaissent. Une vieille habitude !
Les monothéismes bénéficient au contraire d'un traitement de faveur :
- L'Ancien Testament " raconte l'histoire des Hébreux " ; le Nouveau Testament raconte celle de Jesus (éditions Hatier & Nathan). Vérifiez dans les livres de vos enfants !
Là, on passe la ligne jaune. Depuis quand les historiens font-ils confiance à un seul texte , à un Evangile écrit 30 ans après la cruci-fiction ? Le tout sans mentionner les multiples réécritures des textes au fil du temps : les versions du IVe s diffèrent de celles du IIe s, et nul ne connaît la version originale. Rien de cela n'apparaît dans ces manuels scolaires. Que font les profs ? Ce qu'ils peuvent avec moins d'horaires qu'avant. On ne peut pas tout faire, d'autant que les enfants de 11 ou 12 ans n'ont aucun recul critique spontané sur les textes. c'est écrit, donc c'est vrai. Ah, la religion du Livre...
Ben, c'est le contenu des religions, non ? D'accord, mais pourquoi le présenter comme une vérité, au lieu d'une croyance ? Là se trouve un réel problème de laïcité, quoi qu'en dise monseigneur Debray.
L'enseignement privé reste confessionnel
Rappelons que les établissements privés doivent accueillir les enfants quelque soit leur confession (loi Falloux du 15 mars 1850). Ces établissements sous contrat profitent largement des finances de l'Etat, qui paie les salaires de leurs enseignants. Je peine à en voir les avantages. La facture est lourde. Les sites pro - privé donnent des chiffres tendancieux : 1 prof pour 16 dans le public (7,5 % du PIB), 1 pour 15 dans le privé (0,5 % du PIB). Ils oublient quelques détails qui valent leur pesant de cacahuètes. A commencer par l'écart entre le rapport entre nombre d'élèves et nombre d'établissements : bien plus de collèges privés pour moins d'élèves que pour le public ; comme l'enseignement est payant, la comparaison en " pib" ne vaut rien ; enfin, la qualité des enseignants et leur dynamisme (en atteste le succès du lycée public dans la bourgoisie). Le plus difficile à avaler reste la concurrence déloyale. A quand un Acadomia payé par l'Etat et côté en bourse, employant des étudiants de 1er cycle ?
L'Etat subventionne des établissements privés souvent confessionnels (à moins que St pierre, St André, St Paul, Ste Thérèse d'Avila, etc. ne le soient pas) dans de meilleures conditions d'accueil que pour ses propres établissements. Du coup, l'Etat popularise le privé avec les fonds du public. Personne ne se souvient de Bayrou lorsqu'il était ministre de l'E.N. et voulait revenir sur la loi Falloux pour, disait-il " réparer les préaux qui fuient ". Dans l'école publique de mes enfants, il n'y en a même pas, de préau (et ça fait longtemps qu'on le , hein Ant' !) !
Conséquence de cette concurrence déloyale : la mixité sociale se retrouve dans le privé et les collèges publics mal réputés deviennent des ghettos. Le mal étant fait, les classes moyennes des quartiers populaires n'ont plus comme choix que le privé (20%) ou la dérogation (13%). Comme ils habitent de plus en plus dans ces quartiers, les enseignants du public sont poussés eux-aussi à y mettre leurs enfants. L'exemple est connu mais rarement mis en perspective.
Pire : les communes sont maintenant obligées de payer le transport de leurs élèves inscrits dans l'établissemnt privé d'une autre commune (je rêve : les banlieusards paient pour les collèges privés parisiens). La cerise sur le gâteux revient à B. Kouchner, qui vient de passer outre la loi Laboulaye (12 juillet 1875) visant " l'objectivité du savoir ". En effet, l'Eglise contrôle l'immense majorité des établissements supérieurs privés, comme " La Catho " de Lille. Ces établissements sont désormais libres de dispenser des diplômes équivalents à ceux des universités. Merci Bernard, c'est comme ça qu'on veut sauver la recherche en France ? Ca promet...