mardi 5 mai 2009

La nature : ça existe ?


Facile : tout le monde le sait...


Dans la série des fausses évidences ; rien n'est plus simple que d'opposer l'homme à l'animal, la culture à la nature, la société et l'environnement. On se justifiera en disant que c'est évident. A la limite, on dira que la beauté du monde prouve l'existence d'un Créateur
. Pour les moins farfelus, on citera Lévi-Strauss : là où les faits sont universels, c'est la nature ; là où il faut des règles, c'est la culture et elle varie selon les sociétés (cf : Les Formes élémentaires de la parenté).

Tout se passe comme si la nature humaine échappait à la nature tout court. Les plus érudits s'inspireront de l'étymologie latine : natura qui échappe à l'homme et cultura qui est orientée par l'homme (Cicéron, Georgiques). En grec, les termes phusis (le processus "naturel") et nomos (la loi humaine) s'opposent pareillement.

En gros, la nature, c'est ce qui est au-dehors, c'est l'épouvantail de la sauvagerie, c'est l'instinct animal, c'est bête comme chou.


Contradictions !


Tout d'abord, la " nature " sert souvent à parler de la société, à tort. Le climat déterminerait ainsi la civilisation ; la personnalité se lirait dans les astres, ; les abeilles seraient une société parfaite ; le visage ou le crâne déterminerait le caractère (ok, avec Fillon et Dati, ça marche), etc.
D'autre part, nous reconnaissons une culture à beaucoup d'animaux, même si c'est dans un sens assez faible. Il leur suffit d'avoir des techniques indépendantes du milieu et de l'instinct, et qui soient variables.

En fait, Bruno Latour propose une tension entre : la conquête (explication de la nature par des critères humains) et l'arrachement (extraire l'homme de la nature). Il montre notamment qu'il nous est impossible de comprendre la " nature " sans faire appel à des critères culturels. Certains iront même jusqu'à dire que la nature n'existe pas. Même pour sauver l'environnement, il faut le protéger et le tutorer : que peut-il rester d'authentique ? Selon Latour, c'est LE grand échec de l'écologie politique.

Soyons plus modestes. La "nature" n'est pas une chose en soi, mais une notion instable : il restera toujours le sens de l'incontrôlable. l'incontrôlable, c'est les abeilles qui vivent mieux en ville, le devenir des gaz d'échappement, l'herbe qui repoussera toujours entre les pavés... mais est-ce encore de la nature, ou de l'hybride ?

Une fiction ethnographique

Nos bons sauvages peuvent nous montrer la voie : Indiens d'Amazonie, Afrique Noire, chasseurs de Sibérie, etc. Les Jivaros (Ashuar, Equateur) appellent leurs proies "beau-frère", Les Yakoutes (Sibérie) disent que même les ombres ont une âme, tous les chasseurs-cueilleurs répertoriés présentent les espèces chassées comme des tribus, et non comme la nature. on appelle les animaux et les esprits "nos gens". Quand on est malade, c'est qu'un esprit nous a vus comme une proie (le con !).

Pour nous, il est évident que la matière ne change pas d'un être à l'autre : 98% de gènes communs avec le chimpanzé, tous les corps sont faits des mêmes éléments (carbone, hydrogène, azote, oxygène, oligoéléments). Pour nous, c'est l'esprit ou l'âme qui fait la différence. Sauf que pour les Amérindiens, c'est l'évidence inverse : tout les êtres ont un esprit, un âme, une culture, mais il faut voir si les corps sont identiques. Là où les Conquistadores leur cherchent une âme (Valladolid), les Indiens regardent si le Conquistadore saigne et pourrit après sa mort.

Plus fun encore : les clans qui se reconnaissent par un "totem". Non seulement il n'y a pas de distingo humain / animal, mais encore, chaque groupe partage le physique, le comportement et la pensée de son totem. L'exemple classique vient des aborigènes Aranda d'Australie, mais on le trouve aussi en Afrique (Dorzé d'Ethiopie). On ne pense pas (individu)+(société)+(animal) comme des choses distinctes, mais semblables : (clan-totem)+(autres clans-totems). Le dernier élève de Lévi-Strauss, Ph. Descola a théorisé une anthropologie de la nature dans Par-delà nature et culture. (synthèse sur demande).

Oui, mais... les populations traditionnelles ont socialisé les non-humains. Socialiser signifie que les animaux font partie de la relation politique. Ce n’est pas transférable ici pour 2 raisons :

1/ nous pensons avec des « individus » et des « espèces », alors qu’elles mettent en parallèle des « tribus » théoriquement équivalentes ; nous avons sortis les animaux de leurs sociétés pour les réduire à un usage (bouffe, labour, cuir, tu m'attires, contes, compagnie, etc.).

2/ même en se concentrant, personne ne pourra penser en termes animistes (qui jouera aux échecs avec son hamster ?). Nous avons-nous aussi socialisé les animaux et les plantes en les domestiquant individuellement (à moins que vous éleviez un village de lemmings).

Que peut-on en faire, alors ? De l'écologie politique !

L’Apartheid humains /non-humains (animaux, plantes, etc) restera fondamental. Donc, l’écologie politique a tout intérêt à sortir de son image « nature » pour cesser d’être opposée à la « société » par les autres partis. Ceci ancre aussi l'écologie à gauche. Le capitalisme ne peut être accepté comme une prétendue « loi naturelle », pas plus qu’aucune loi qui se réclamerait comme telle. Elle ne peut légitimer en aucun cas les valeurs humaines comme si elles étaient des choses absolues (sexualité, instinct, nature humaine, hiérarchies sociales, essentialisme de genre, classe ou ethnie).

L’économie de l’environnement demande d’être anti-capitaliste, en ce que le capitalisme tend toujours au moins disant social et parallèlement, environnemental. Cette économie de l’environnement n’est pas incompatible avec l’économie au sens habituel, mais avec sa forme déprédatrice que constitue le capitalisme.

La question « nature » ne peut plus que déborder sur le social. Le seul moyen de préserver quoi que ce soit n’est pas de le soustraire à l’économie (tôt ou tard, l’idée d’exploitation fera son chemin et divisera le corps civique), mais au contraire d’en répartir l’usage entre générations et entre groupes sociaux. De ce fait, les intérêts environnementaux et humains convergent sans avoir besoin de tordre les idées dans tous les sens.