samedi 2 mai 2009

Réinventer la société sans anthropologues : je rêve !


L'Anthropologie sociale : pour quoi faire ?

La recherche française, comme l'opinion publique, méprise l'anthropologie. Après tout, que faire d'hurluberlus qui visitent des sociétés de " sauvages " ? Rappelons que cette discipline aujourd'hui méconnue s'appelle aussi l'ethnologie. Son ambition consiste à comparer les sociétés pour y chercher les règles fondamentales de l'humanité. Ambitieux. Utopique. Des grands noms français s'y sont cassé les dents : Lévi-Strauss, Eliade, Girard, Dumézil, Mauss, etc. Pourquoi ? Parce qu'ils ont raisonné en philosophes et cherché des systèmes parfaits. Chaque insuffisance de leur part les a donc mené à leur perte, sous la plume de leurs propres élèves.

Et pourtant, d'autres auteurs ont montré que toutes les sociétés répondaient à d'importants problèmes : parenté, identité, économie, domestication, environnement, lien social, culture, technique, etc. Quel rapport avec nous et notre " actu " ? Tout. Identité , religion, communautarisme, autonomie de la personne, lien social, sexualité, parentalité, environnement, etc. A chaque fois, les politiques remettent sur le tapis la même peau de banane : " c'est anthropologique ", " c'est comme ça partout ", " c'est un fait anthropologique ". Que n'a-t-on pas entendu lors des débats sur l'adoption par des couples homos, le travail féminin, l'éducation des enfants, les africains polygames ; rien que de l'outrancier.

Le décalage entre l'importance de l'anthropologie et l'ignorance de ceux qui font des lois m'effraie : Boutin, Carrère d'Encausse, Sarko himself, Morano, etc. Il n'y a pas qu'à droite que l'indigence frappe les esprits. A gauche, que ceux qui n'ont pas encore dit : " il faut réinventer autre chose " lèvent le doigt ! Réinventer... à partir de quoi ? Si ça, ce n'est pas utopique et dérisoire... Alors, avant de vouloir "reconstruire" et "réinventer", il faudrait peut-être se renseigner sur les produits existants (voir notre catalogue).

Mais l'anthropologie, c'est relativiste, direz-vous !

Pas comme on l'entend. On ne met pas toutes les cultures à égalité, ce qui empêcherait tout débat. Il s'agit de dire que toute société a ses priorités, et que ces priorités se comparent. Exemple : notre société brille par l'énergie qu'elle peut donner à chaque individu (nourriture, déplacement, production), alors que les chasseurs-cueilleurs amazoniens brillent par l'égalité de leurs membres (économie, genre, pouvoir).

Ce que les anthropologues apportent est simple : des façons de penser différentes parce que notre société cherche ses modèles. Pour le moment, les modèles les plus réacs l'emportent. Attention ; il serait idiot de croire que nous pourrions simplement copier (demain : tous en pagne, surtout ma voisine !). Il faut d'abord savoir quelles sont les contraintes qui pèsent sur les Jivaros pour comprendre pourquoi leur empreinte écologique est faible. Il faut savoir que les stratégies de mariage concernent les familles pour comprendre que le mariage n'a rien à voir avec le genre des mariés. Il faut comprendre que le don oblige pour penser le lien social et les écarts de salaire. Et ce qui n'est pas donné ni vendu devient facteur d'identité du groupe. Il faut s'intéresser aux lignages africains pour savoir qu'un homme et une femme ne suffisent pas à faire un enfant.

Quand tout est à vendre, rien n'a plus de valeur. Quand chacun veut prendre (subventions, allocations) sans donner (niches fiscales, fraudes) : il ne reste que l'identité pour faire la nation. Si l'enfant se réduit au couple mâle - femelle, il n'y a ni procréation assistée, ni adoption possible. L'anthropologie donne du sens, là où nous en cherchons.